Le 24 février, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a levé les sanctions économiques et financières imposées au Niger après le coup d’État du 26 juillet 2023 contre l’ancien président Mohamed Bazoum.
Les sanctions n’ont pas eu l’effet escompté : M. Bazoum est toujours en détention et le gouvernement intérimaire dirigé par le général Abdourahmane Tiani n’a toujours pas adopté de feuille de route pour la transition. Au lieu de cela, les embargos ont pratiquement paralysé l’économie nigérienne, affectant gravement une population extrêmement vulnérable.
Sur les marchés de Niamey, les prix de détail des produits alimentaires ont augmenté en moyenne de 75 pour cent au cours des six mois de sanctions. Ceci malgré le fait que les opérateurs économiques contournaient les restrictions en obtenant des marchandises via des routes parallèles vers le Bénin et le Nigeria – les deux principaux fournisseurs du Niger. Les convois de poids lourds devaient emprunter le corridor économique Lomé-Ouagadougou-Niamey , un itinéraire plus long (1 242 km) et plus dangereux en raison de la présence de groupes armés.
La décision de la CEDEAO de lever les sanctions intervient à peine un mois après que le Niger a annoncé son retrait de l’organisation régionale, aux côtés du Mali et du Burkina Faso. Les sanctions contre ces deux pays, qui ont également récemment connu des coups d’État, ont également été levées. La CEDEAO a tendu le rameau d’olivier dans l’espoir de maintenir les trois nations dans son giron – surtout après qu’elles ont formé l’Alliance des États du Sahel en septembre 2023.
Reste à savoir quelle sera la réaction des chefs militaires du Conseil national nigérien pour la sauvegarde de la patrie. Pour l’instant, des divergences politiques ont entraîné la fermeture des frontières avec le Nigeria et le Bénin, bien que le Nigeria ait annoncé mercredi l’ouverture de ses frontières. Quitter la CEDEAO « avec effet immédiat » permet à la junte nigérienne d’échapper aux exigences de l’organisation régionale en faveur d’une courte transition et potentiellement de rester au pouvoir pendant trois ans, comme annoncé en août dernier.
Quelle que soit la décision du Niger concernant son adhésion à la CEDEAO, les dirigeants militaires doivent rapidement fixer le cap et le contenu de la transition. Jusqu’à présent, leurs priorités ont été d’atténuer les effets des sanctions économiques sur la population et de renforcer la capacité opérationnelle des forces de défense et de sécurité.
Le Fonds de solidarité pour la sauvegarde de la patrie, la Commission de lutte contre la criminalité économique et fiscale et la nomination de responsables à la tête des entreprises publiques chargés de collecter l’argent dû à l’État sont quelques-unes des mesures prises pour mobiliser des ressources internes.
Maintenant que les sanctions ont été levées, quelles seront les prochaines étapes de la transition ? Le dialogue national inclusif annoncé en juillet 2023 n’a toujours pas eu lieu. Son objectif était de définir collectivement les principes fondamentaux, les priorités et la durée de la transition. La participation des partis politiques à cet exercice est vitale, mais elle a été entravée par la suspension de leurs activités depuis le coup d’État de juillet.
Il n’y a pas eu non plus de consensus sur le processus de nomination des délégués régionaux au dialogue. Une partie de la société civile rejette les représentants locaux du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme, que beaucoup considèrent comme les principaux responsables de la situation désastreuse du pays.
L’entretien télévisé tant attendu de M. Tiani le 11 février n’a pas non plus informé les Nigériens de la vision des autorités militaires en matière de retour à l’ordre constitutionnel ni de solutions aux défis politiques, socio-économiques et sécuritaires du pays. Le chef de la junte s’est plutôt attaché à justifier la décision de se retirer de la CEDEAO.
Le principal défi du Conseil national nigérien est désormais de concilier les contradictions politiques qui entourent la transition.
D’une part, la base populaire de la junte ne souhaite pas voir le régime d’avant Bazoum, dirigé par Mahamadou Issoufou, revenir à la gouvernance sous quelque forme que ce soit. Ce point de vue est partagé par le M62 , un groupe de 15 organisations de la société civile connu sous le nom d’Union sacrée pour la sauvegarde de la souveraineté et de la dignité du peuple. Le mouvement considère Issoufou comme responsable de la mauvaise gouvernance du Niger.
Beaucoup au Niger pensent qu’Issoufou exerce toujours une forte influence sur la vie politique du pays grâce à ses liens avec M. Tiani. M. Tiani a dirigé la garde présidentielle de M. Issoufou au cours de ses deux mandats de 2011 à 2021. Des hauts responsables du parti politique de M. Issoufou – y compris des alliés de M. Bazoum déchu – le soupçonnent de collusion avec M. Tiani pour reprendre le pouvoir après la transition, voire installer son fils, Sani Issoufou Mahamadou, ancien ministre du pétrole, comme président.
Ces dynamiques menacent la cohésion de la junte et par conséquent la stabilité du Niger. Ils risquent d’alimenter les divisions au sein de l’armée, fondées sur les liens avec les principales personnalités politiques. Il s’agit d’un côté d’Issoufou et du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme, et de l’autre Hama Amadou, leader du principal parti d’opposition, le Mouvement démocratique nigérien pour une fédération africaine.
Pour éviter ces dangers liés à la stagnation de la transition, les autorités militaires nigériennes doivent organiser sans tarder un dialogue national. Le dialogue doit être le plus inclusif possible, réunissant l’ensemble de la classe politique, la société civile et les institutions étatiques, y compris l’armée. Un accord devrait être trouvé sur la durée et la feuille de route de la transition, ainsi que des solutions trouvées aux problèmes de gouvernance politique, économique et financière à l’origine des tensions au Niger.
Les autorités devront alors planifier et commencer à mettre en œuvre certaines réformes prioritaires, qu’un gouvernement démocratiquement élu pourra achever une fois la transition terminée.
Hassane Koné, chercheur principal et Djiby Sow, chercheur principal, Bureau régional de l’Institut d’études de sécurité (ISS) pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad.
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